Chorus se présente comme une improvisation photographique en dix-sept mesures, qui égrène ses notes de couleurs si pâles et délavées qu’on les croirait sorties d’un rêve subliminal, où s’envolent ces formes oblongues comme un chorus de «Bird» Parker ou de Charlie Mingus.
Bien que le sujet importe moins que la manière, l’urbanité y est traitée sur fond d’évanescence bleutée comme derrière le filtre irisé d’un musée océanographique et décrit efficacement l’univers des marchés au travers d’ «impressions colorées».
Cette expression employée par Cézanne ne relègue pas pour autant la démarche de Gérard Joblot du côté des peintres, bien qu’elle s’y apparente et qu’il soit enviable de l’y associer : le peintre concevant une «weltanschauung» quand le photographe la restitue. Elle le conforte au contraire dans sa position de novateur à la frontière de la toile et de l’image. Mélangeant pixels et techniques traditionnelles la vision numérique retrouve à travers ce travail, simple et complexe à la fois, la tradition de l’expression plasticienne.
Gérard Joblot a fabriqué à cet effet, avec la méticulosité artisanale qui caractérise toutes les étapes de son travail, ses chambres à sténopé qui lui permettent d’enregistrer les battements de ses émotions de coloriste. Il imprime ensuite l’image argentique après l’avoir scannée et retouchée grâce aux dernières avancées de la technologie numérique.
A contre courant d’une certaine photographie contemporaine, délaissant le contexte socioculturel de l’image, au profit de l’émotion esthétique, il rajeunit, peut-être à son insu, le courant pictorialiste dans une harmonieuse synthèse. La couleur est comme capturée et sortie du réel pour se re-matérialiser sur de beaux supports en un chorus suraigu.
Suite rythmique et synthétique, «Chorus» noie le regard dans un espace jazz océanique où la perception semble assortie d’une plongée en apesanteur ouatée à travers un masque déformant, transformant les visiteurs en géants de couleurs.
Gilles Verneret