Chaque commune, du plus petit village à la plus grande métropole possède le sien, simple stèle de pierre ou construction plus ambitieuse, élément obligé du paysage urbain si parfaitement intégré que nous passons bien souvent devant sans les voir, jusqu'à ce qu'un évènement quelconque vienne modifier notre perception.
C'est justement la présence « en creux » des monuments aux morts, leurs étonnantes qualités sculpturales et leur charge historique qui ont suscité en moi l'envie de développer un travail photographique sur ce thème.
Marquant la fin de dix années d'expérimentations en utilisant exclusivement des chambres à sténopé et le début de l’utilisation d’appareils numériques, ces images sont le fruit d'une hybridation entre deux prises de vue réalisées dans un même lieu le même jour:
- Le monument : photographie numérique frontale, appareil posé sur trépied, restituant le plus simplement possible la perspective et le détail.
- La scène de rue : capturée à la chambre à sténopé utilisée à main levée, apportant les couleurs et le mouvement de la vie qui continue...
L’origine chronologique de cette série remonte à la fin de l’année 2004 suite à deux expositions personnelles à Lyon – «goutte à goutte» à l’ URDLA de Villeurbanne et «CHORUS» à la galerie IUFM Confluence(s) – après lesquelles je me suis senti prêt à commencer ce projet en réinvestissant les savoirs-faire acquis au cours de ces deux expériences.
En confrontant les mondes technologiques – sténopé/optique et argentique/numérique – j'ai tenté de construire des images qui nous parlent avec force au travers des différentes perceptions qu'elles offrent à chacun.
La juxtaposition des éléments graphiques résultants de cette confrontation permet ainsi de multiples associations, des plus personnelles (ancêtre tué ou blessé à la guerre par exemple) aux plus collectives (utilité de la commémoration, relation à l'Histoire).
La combinaison des différents espaces picturaux avec l'opposition du flou et du net, des plans sagement ordonnés ou bien dilués dans l'anamorphose du sténopé, des couleurs les plus neutres aux plus saturées, va amener un flottement dans la vision, faire apparaître une troisième dimension, sorte de relief émergeant de la structure même des images.
J'ai souhaité enfin préserver l’idée d’expérimentation photographique en ne créant pas un catalogue exhaustif mais plutôt un essai au nombre d'images limité, en résonance avec l'histoire de la photographie (Lee Friedlander, Bernd et Hilla Becher) qui marque une étape supplémentaire dans ma démarche de photographe.
Gérard Joblot